Intervention 75e anniversaire des Nations unies
Intervention du ministre des Affaires étrangères Stef Blok au Palais de la Paix le 24 octobre 2020 à l'occasion du 75e anniversaire des Nations Unies.
Monsieur le président de la Cour internationale de Justice,
Monsieur le maire,
Et vous tous qui écoutez et regardez aujourd’hui,
C’est un plaisir de m’adresser à vous en cette occasion particulière.
« Tout aussi puissant et grandiose que l’idée même de paix mondiale... »,
c’est par ces mots qu’un écrivain néerlandais a jadis décrit le Palais de la Paix.
Il n’y a pas de meilleur endroit, selon moi, pour commémorer le 75e anniversaire des Nations unies...
... Parce que c’est un palais dédié à la paix certes, mais aussi parce qu’il a des allures de temple de la justice.
Avec ses inscriptions latines exprimant une grande autorité morale.
Cedant arma togae – que les armes le cèdent à la toge.
Une autorité que le visiteur ne peut qu’accepter.
L’autorité, c’est ce dont l’ONU a besoin si elle veut faire la différence dans les 75 prochaines années.
Pour moi, les règles, la loi et l’autorité morale sont les mots clés de la commémoration d’aujourd’hui.
Et pas seulement pour moi, mais aussi pour de nombreux jeunes, si j’en crois l’enquête menée par l’ONU en amorce du dialogue d’aujourd’hui.
Nous, la communauté internationale, devons prendre nos responsabilités.
S’agissant du changement climatique, de l’extrême pauvreté, des abus de pouvoir.
Sans cela, nous perdons notre autorité morale.
Pour beaucoup, l’ONU n’est pas un beau palais mais une abstraction, ou une organisation poussiéreuse, sur laquelle ils n’ont aucune influence.
C’est pourquoi je me réjouis du dialogue mondial des Nations unies et de la formidable participation des jeunes.
J’aimerais partager avec vous un fragment historique qui concerne l’influence personnelle et montre qu’il est possible de marquer de son empreinte la communauté internationale et le droit international. Pas seulement pour votre génération mais aussi pour celles à venir.
« Ah, Hugo Grotius », penseront certains d’entre vous.
Ce Néerlandais, auteur de Mare Liberum, plaidoyer en faveur de la liberté des mers et du libre-échange, est l’un des fondateurs du droit international public.
Mais c’est à quelqu’un d’autre que je pense. Quelqu’un qui a aussi combattu pour la justice.... et plus précisément contre la torture.
Je le cite :
« La torture, le fait de délibérément infliger des blessures et des souffrances à une victime sans défense, était systématique. [Souvent] au courant électrique, une méthode pratique et propre... à l’aide du téléphone de campagne par exemple. »
Ces mots vous semblent peut-être familiers.
Ils vous rappellent des actualités récentes.
Sur les opposants au régime de Bachar el-Assad torturés à mort par exemple...
Sur les camps d’internement que la Chine continue de construire pour y enfermer les Ouïgours...
Sur les bandes masquées qui abreuvent de coups les manifestants sans défense au Belarus...
Ou peut-être vous rappellent-ils les cas récents de brutalités policières. L’injustice infligée à George Floyd et à d’autres.
Ces exemples éveillent probablement en vous un sentiment d’injustice, d’indignation.
Bien sûr, la référence au téléphone de campagne trahit une autre époque.
La citation était du Néerlandais Herman Burgers.
En 1947, il a été envoyé en Indonésie, où il a travaillé pour la Cour martiale. C’est là qu’il a entendu parler de pratiques inacceptables, comme la torture des prisonniers pour obtenir des renseignements.
Cela l’a marqué à jamais.
Selon ses propres mots :
« J’ai – et j’aurai toujours – une profonde aversion pour la torture. »
Son sens de la justice a poussé Herman Burgers à agir au profit de notre monde.
De 1982 à 1984, il a dirigé le groupe de travail des Nations unies chargé de la rédaction de la Convention internationale contre la torture.
La Syrie a ratifié cette convention en 2004, alors que Bachar el-Assad était déjà président.
Ce faisant, le régime syrien s’est officiellement engagé à prévenir et combattre la torture et les autres peines ou traitements cruels.
Des promesses systématiquement trahies.
C’est donc en référence à cette convention que les Pays-Bas ont annoncé le 18 septembre dernier être prêts à engager des poursuites contre la Syrie pour graves violations de ses obligations au titre du droit international.
Si j’ai voulu vous parler d’Herman Burgers, c’est que son histoire est riche d’enseignements, sur la force d’un individu et le potentiel d’une organisation, les Nations unies. Un potentiel dont en fin de compte nous disposons tous.
Cette histoire nous montre aussi comment l’indignation face à l’injustice peut conduire à davantage de justice, et comment l’ONU est capable d’y parvenir. Nous en sommes tous capables. En théorie du moins. Car souvent l’action de la communauté internationale est trop lente et trop hésitante.
Cette histoire nous montre aussi la direction à suivre.
Pas seulement pour mettre fin à la torture.
Pas seulement pour promouvoir les droits de l’homme, la démocratie
et la justice internationale.
Mais aussi en ce qui concerne la coopération entre pays au sens le plus large.
L’aspiration commune à un monde plus juste, plus prospère et plus pacifique.
Et la consolidation des systèmes mis en place après la Seconde Guerre mondiale pour protéger nos droits, notre prospérité et notre sécurité.
Cela inclut évidemment les Nations unies.
Mais aussi l’OTAN et l’Union européenne.
Des projets ambitieux nés de la conviction qu’il nous faut résoudre ensemble les problèmes...
... et protéger les valeurs qui sont les nôtres.
Ces organisations ont atteint l’âge mûr, sans inspirer malheureusement le respect qui lui est généralement associé.
Les analyses les plus élaborées circulent sur la situation désespérée de la coopération internationale, mais le fait est que le monde ne peut avancer que si nous honorons nos engagements.
La coopération internationale commence par l’engagement international.
Voilà précisément la raison pour laquelle les Pays-Bas veulent que la Syrie rende des comptes.
Notre démarche vise avant tout le bien du peuple syrien, mais il en va aussi de la communauté internationale.
Car nous voulons combattre l’impunité partout dans le monde.
L’impunité redouble en effet l’injustice.
En fermant les yeux sur ce que nous prétendons intolérable, nous sapons le pouvoir et la crédibilité des organisations internationales qui tentent de faire respecter les engagements pris.
Et, je le répète, c’est un double échec pour le monde.
Nous établissons des règles et des accords que nous ne faisons pas respecter.
Il suffit de regarder autour de nous.
Le commerce est moins équitable, conséquence directe de l’affaiblissement de l’Organisation mondiale du commerce.
Le monde est moins sûr, retombée directe de la suppression de certains accords sur le désarmement.
Et cela menace le plus grand succès d’une organisation comme l’ONU : empêcher que s’écrive une histoire dont nous ne voulons pas.
C’est là sa vraie réussite.
L’absence d’une Troisième Guerre mondiale.
La guerre froide qui n’est jamais allée jusqu’à l’embrasement.
Toutes les mines qui n’ont pas explosé grâce à la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel.
Et cette liste n’est pas exhaustive. Ensemble, nous avons aussi réussi à refermer le trou dans la couche d’ozone. Nous avons quasiment éradiqué la polio et complètement fait disparaître la variole.
Tous ces résultats sont en danger si nous restons nonchalants quant au respect des règles, si nous continuons à nous contenter d’une approche incitative et non contraignante.
Mon message aujourd’hui est le suivant :
Faisons en sorte que notre coopération internationale ait du mordant.
Un accord est un accord : qui signe un traité s’y tient.
Cela signifie prendre ses responsabilités.
S’agissant par exemple du respect des règles européennes concernant l’État de droit, l’équilibre budgétaire et la compétitivité de l’économie.
S’agissant encore de l’Organisation mondiale du commerce : y adhérer équivaut à ouvrir son marché.
Cela signifie encore savoir se regarder dans le miroir.
Notre pays doit par exemple accroître ses efforts en vue d’atteindre l’objectif fixé par l’OTAN de consacrer 2 % des dépenses à la défense.
Cela veut dire enfin consolider et renouveler les structures.
En développant par exemple un nouveau système d’accords de maîtrise des armements.
En établissant un système opérant de règlement des différends au sein de l’OMC afin de lutter contre les pratiques commerciales déloyales.
Et en garantissant le fonctionnement transparent et efficace de l’Organisation mondiale de la santé.
Les structures défaillantes et la lenteur à réagir de la communauté internationale ne doivent pas décourager ceux qui peuvent faire la différence.
Les héritiers de Grotius et d’Herman Burgers.
Les gens comme vous.
Les jeunes doivent être en mesure de participer aux Nations unies. J’en suis profondément convaincu.
Non seulement parce que les problèmes d’aujourd’hui sont également les vôtres, mais aussi parce que vous portez en vous la solution.
C’est à vous que j’en appelle aujourd’hui : ne vous laissez pas décourager.
Joignez-vous au dialogue. Aujourd’hui, mais aussi demain.
Faites entendre votre voix.
Portez un regard neuf sur les problématiques mondiales ...
... et sur une organisation qui, si elle peut sembler poussiéreuse, a plus de valeur que tous les palais.
Merci de votre attention.